Petit interlude rôlistique an milieu des articles techniques. Suite aux recommandations de Midori, j'ai découvert l'existence d'un éditeur un peu particulier et militant répondant au doux nom de "Les Écuries d'Augias" (à l'origine d'un jeu "open source", "Lady Blackbird" ). Entre publications " Indé" et jeux de rôle brisant les conventions, la gamme la plus originale de cet éditeur est appelée "In Vitro". On y trouve un véritable OVNI. Un jeu qui défie les conventions rôlistique à tel point qu'on pourrait se demander s'il s'agit toujours d'un jeu de rôle. Son nom ? "Romance érotique", et comme on peut le penser, ça parle de smex.

Petite réflexion: quand on joue à un jeu de guerre ou qu'on regarde un film d'action, notre objectif n'est pas de se stimuler en vue de dégommer son voisin par après. La violence idéalisée nous fait passer un bon moment et on en ressort satisfait/e/s, sans avoir à faire glisser le virtuel vers le réel. Mais pourquoi est-il si difficile de prendre un tel recul avec le sexe ? Pourquoi nous sentons-nous forcés de briser le miroir ? Pour beaucoup, faire le distinguo entre fantasme libidineux et sexualité réelle semble saugrenu.

Alors évidemment, la question du sexe dans le jeu de rôle (tout comme dans le jeu vidéo) a toujours déclenché un certain malaise. Entre les joueurs / joueuses hâtifs de prouver qu'ils sont ouverts d'esprit et les autres qui préfèrent rester au sec, il est difficile de traiter la problématique d'une manière posée. Pourtant, certains ont tenté de briser le tabou, parfois en ouvrant des parenthèses dans des jeux de rôle traditionnels (Tigres Volants avec ses "elfes" libidineux, voire certains passages de Qin dans "Mythes et animaux fabuleux") et d'autres fois grâce à des jeux principalement dédié au sexe (le vénérable mais bordélique Indécent, que tout le monde connaît, ou le très subtil FATAL qui... non, en fait, évitons d'en parler ici).

Vu mon intérêt pour ce domaine, découvrir un nouveau jeu de rôle papier érotique m'a forcément interpellé. Une fois son acquisition faite, j'ai rapidement compulsé l'ouvrage et malheureusement, " Romance Érotique" a anéanti une bonne partie de mes espoirs rien qu'à la lecture du quatrième de couverture. Est-il sans intérêt pour autant ? Spoiler : pas vraiment.


Illustration tirée du jeu
Illustration tirée du jeu (Illustration © Maude Chalmel)

Romance Érotique se présente sous la forme d'un petit livret A6 à couverture cartonnée d'une trentaine de pages (le format idéal pour un jeu de rôle "concept"). Son auteur, Jelino, voulait à l'origine s'épargner le passage par un éditeur, mais a fini par publier le fruit de son travail de manière "pro", pour des raisons qu'il a amplement exposées. Ici, point de vaines explications sur ce qu'est un jeu de rôle : on passe très vite aux "règles du jeu" qui s'étalent des premières pages jusqu'à la page 22. Le style est suffisamment limpide et on y trouve suffisamment d'exemples pour bien saisir le fonctionnement d'une partie. Une petite dizaine de pages, sur la fin, présente des "variantes", qui exposent en fait différentes idées de scénario à développer durant les sessions.

À titre personnel, j'apprécie sans retenue le style graphique de l'ouvrage, notamment le trait anguleux de Maud Chalmel et la mise en page pas spécialement sobre du tout qui rappelle le voiles pourpres d'un club intimiste et élégant.


L'auteur donne le ton dès les premières pages : sa proposition est de lier "jeu de rôle" et "récompenses réelles" dans un divertissement érotique pour couple. Alors que les personnages vivent leurs aventures comme n'importe quel autre groupe de PJ, les joueurs sont impliqués grâce à des gages dont l'aspect plus ou moins intime dépend de l'avancement du scénario. Car si Romance Érotique ne propose pas de background, il structure par contre les sessions de jeu en trois actes:

  • La rencontre
  • Le rendez-vous
  • Le moment intime
Illustration tirée du jeu (Illustration © Maude Chalmel)
Illustration tirée du jeu (Illustration © Maude Chalmel)


Chaque acte a des implications pour les deux dimensions du jeu : les joueurs se délestent de leurs vêtements au fur et à mesure des étapes franchies par les personnages. Ceux-ci sont définis par trois "caractéristiques", appelées "domaines" (sensualité, empathie et profondeur), de la plus forte à la plus faible. Elles changent à chaque scène, reflétant l'état d'esprit du PJ. En guise de feuille de personnage, les joueurs attachent trois rubans (fuchsia, jaune et violet, en lien avec les trois caractéristiques) à différent endroit du corps de leur partenaire pour signifier quel domaine de leur personnage est en éveil (le meilleur), en sommeil (l'intermédiaire) ou en berne (le pire). Chacun à son tour, les joueurs endossent le rôle de "narrateur" et décrivent une scène dans laquelle les deux protagonistes se rencontrent et tentent de se séduire. Les gages interviennent lorsque les tentatives de séduction réussissent.

N'ayant pas pu essayer le jeu (faute de temps, évidemment...), je ne peux critiquer le bien-fondé du système que d'un point de vue théorique. Avec Romance Érotique, il serait vain de séparer l'aspect "jeu érotique" de l'aspect "jeu de rôle". Les deux s'entremêlent beaucoup trop. On peut néanmoins scinder son public : si l'aspect ludique est probablement délassant lors des premières séances, les couples cherchant à épicer leur vie sexuelle risquent de passer à autre chose rapidement, tant le niveau d'implication demandé ici est plus élevé que celui d'un simple jeu de société érotique. Quant à ceux, plus rares, cherchant avant tout à booster leur compétence "Art : chambre à coucher conteur", ils pourraient bien trouver le système limitatif (structure imposée) sans qu'il n'apporte de véritable soutien pour construire une narration coquine plus satisfaisante.


Vous l'aurez compris : je suis un peu dubitatif quant à l'intérêt de l'ouvrage. Ceci dit, ça ne serait pas la première fois qu'un jeu de rôle me fait une mauvaise impression à la lecture alors qu'il s'avère finalement très bon autour d'une table (ou plus probablement sur un lit, en l'occurrence). Deux derniers points pour conclure cet article : qu'on aime ou non le résultat, il faut néanmoins saluer l'effort et le sérieux de la démarche de Jelino, qui s'est beaucoup investi dans cette aventure. Quant à moi, je reste à l'affût d'un jeu qui, plutôt que de renforcer l'implication personnelle, saura gérer la sexualité d'une manière intéressante sans exiger que les joueurs ne donnent de leur personne.

Bonus :